Beau comme une photo!

Publié le par Un jour au musée

Une photo c'est quelque chose qu'on aime regarder, c'est fait pour ça me direz vous, et vous auriez raison. A cette époque, qui est la notre, ou la photographie est sans aucun doute le médium le plus utilisé par les particuliers mais aussi et surtout le plus diffusé via des réseaux sociaux divers et variés, on peut se poser cette question: c'est quoi une belle photo?

Vous avez sûrement tous déjà pu observer les résultats photographiques des promenades champêtres d'un ami, et entendre (ou lire) les commentaires enthousiastes des observateurs du genre: "Whouah magnifique tu as un vrai talent continues" ou bien "Juste sublime, j'ai pas de mot un artiste est né".

Oh la jolie montagne!

Oh la jolie montagne!

Une question se pose alors... Qu'est ce qui est beau? Qu'est ce qui est décrit comme "sublime" ? La montagne ou la photographie de la montagne? Assurément c'est la montagne qui est sublime, la photographie quant à elle ne résulte que d'une action relativement limitée de la part du photographe, surtout depuis que la photographie, grâce aux évolutions technologiques, a été soustraite à sa part technique (en effet plus besoin de préparer des dizaines de bains photographiques, ni même de prendre le bus pour aller développer ses photos au Carrefour du coin, maintenant une clé USB et c'est parti pour la gloire et les lauriers).

La photographie ne nous raconte ici rien de plus que: "une montagne c'est beau". Il ne s'agit absolument pas de dénigrer les photographies de vacances ou de familles, qui ne sont ni sans intérêts ni méprisables, et qui peuvent même parfois s'intégrer à des travaux artistiques très intéressants, mais il s'agit plutôt de critiquer la façon presque systématique dont les termes "art", "artiste" et surtout "talent" sont utilisés à tort et à travers.

Ceci revient en fait à poser la question de signifiant et de signifié en photographie. Et comme avec un exemple c'est plus clair, un gros orteil nous éclairera.

Jacques-André Boiffard (1902-1961), Gros orteil, 1929. © Service de la documentation photographique du MNAM - Centre Pompidou, MNAM-CCI (diffusion RMN)

Jacques-André Boiffard (1902-1961), Gros orteil, 1929. © Service de la documentation photographique du MNAM - Centre Pompidou, MNAM-CCI (diffusion RMN)

Sur cette photographie, Jacques-André Boiffard, un artiste qui a travaillé en collaboration avec le groupe surréaliste, nous présente ni plus ni moins qu'un gros orteil. Le sujet est donc sans grand intérêt, en effet, rien de plus prosaïque qu'un orteil, tout le monde en à un, voir deux (normalement), et ce n'est pas un objet qui est considéré a priori comme étant digne d'intérêt.

Pourtant, l'artiste nous offre un traitement particulier de cet orteil, le gros plan le rend gigantesque, les rides, les plis de la peau qui ressortent grâce au subtil jeu d'ombre le rendent clairement monumental.

Ce changement d'échelle devient alors fantasmatique, presque fétichiste, l'artiste réduit un corps entier à une partie qui devient la représentation d'un tout invisible. L'orteil prend une forme inquiétant, et questionne sur la notion même de portrait.

Ceci bien sûr n'est qu'un exemple visant à définir la notion de signifiant et signifié en photographie, ce n'est pas la beauté du sujet qui va faire "œuvre" mais bien son traitement, et même le discours qui en découle. La photographie de montagne nous offre donc une photo plaisante, certes, mais une photo muette.

Et comme le dit Philip-Lorca di Corcia:

"La photographie est une langue étrangère que tout le monde pense parler"

A méditer...

Publié dans Juste pour parler

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