Kévin Carter, le vautour et l'enfant.

Publié le par André Emile

Cet article est le premier d’une toute nouvelle série de « Un jour au musée » : la série Focus. Cette rubrique aura pour volonté principale d’analyser et de commenter une photographie en particulier et de, autant que faire se peut, vous faire apprendre quelques petites choses sur son contexte de production. Ce premier numéro de Focus va se pencher sur un célèbre cliché de Kévin Carter, une photographie au combien commentée, critiquée, fustigée, et qui déclencha à elle seule un grand débat sur la neutralité photographique et sur l’éthique du photojournalisme.

Kévin Carter, L'enfant et le vautour, 1993, Soudan.

Kévin Carter, L'enfant et le vautour, 1993, Soudan.

Cette photographie, est tirée d’une série de clichés réalisée en 1993 au Soudan par le photographe sud-africain Kevin Carter. Parfois intitulée l’enfant et le vautour, la fillette et le vautour ou plus sobrement Soudan. La scène dépeinte est d’une rare violence puisqu’elle nous présente un enfant en bas-âge, visiblement victime de malnutrition, au bord de l’agonie, avec en arrière plan, comme le symbole d’un destin funeste inévitable, un vautour qui observe le fatum de son futur repas.

L’ensemble de la photographie glace le sang. L’enfant, le corps atrophié par la famine semble s’être écroulé sous le poids d’une tête devenue trop lourde. Le vautour quant à lui devient la pure représentation de la mort, qui attend imperturbable. Le paysage, désertique et ravagé, rappelle l’histoire de ce pays détruit par la pauvreté et la guerre civile qui à l’époque sévit depuis déjà dix ans sur le territoire soudanais. Cette photographie déclenche chez le spectateur des sentiments contraires, dans un premier temps, chacun de nous sera prompt à reconnaitre l’atrocité de la situation décrite et plus largement celle du Soudan et à recevoir avec émotion la force de la symbolique visant à évoquer à travers le destin morbide certainement réservé à l’enfant, le destin plus largement réservé au pays. Mais dans un second temps des questions d’ordre pratique surgissent chez le spectateur. Qu’est devenu l’enfant ? Le photographe l’a-t-il sauvé ? Combien de temps a-t-il patienté pour que le cliché soit « parfait » ?

Une partie des réponses attendues ont été fournies par le photographe lui-même. En effet, peu après la publication de ce cliché dans le New York Times du 26 mars 1993, les critiques les plus vives furent émises à propos du travail de Kévin Carter. Le photographe lui-même admet qu’il n’a aucune idée de ce qu’est devenu l’enfant, il avoue aussi , fait plus troublant, avoir attendu plusieurs dizaines de minutes que le vautour déploie ses ailes pour accentuer l’effet dramatique. Une question se pose alors. Si l’on prend du recul, si nous avions été une petite souris et que nous avions observé la scène, nous aurions vu un enfant mourant, prit entre un vautour d’une part et un photographe de l’autre, et c’est peut-être cette photographie qui aurait été encore plus parlante.

Peu après la publication de sa photographie, Kévin Carter remporta le prix Pulitzer, mais malgré cette prestigieuse récompense il se suicida quelques mois plus tard, en juillet 1994. Se donnant la mort en s’empoisonnant dans sa voiture il laissa un message à ses proches dans lequel il expliquait son geste en parlant de divers problèmes personnels, mais aussi du fait qu’il était «hanté par ses souvenirs». Différents éléments furent apportés par la suite pour tenter de déterminer ce qu’était devenu l’enfant de la photo. Visiblement cet enfant est mort plus tard du paludisme à l’âge de 14 ans. Il semblerait aussi que lors de la prise de vue, Kévin Carter ne pouvait pas aider réellement l’enfant, et que ses parents étaient à quelques mètres, et qu’ils patientaient pour obtenir une aide alimentaire.

Nous sommes chaque jour les spectateurs des atrocités du monde, qui nous parviennent de façon permanente, à travers les journaux télévisés, la presse ou internet, ces images si nombreuses, anesthésient parfois notre sensibilité à la souffrance. L’histoire dramatique en tout point de cette photographie pose la question éthique de l’esthétisation de la souffrance.

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Portrait de Kévin Carter

Portrait de Kévin Carter

Publié dans Focus

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