Man Ray et Noire et Blanche

Publié le par André Emile

Noire et Blanche de Man Ray, portrait de Kiki de Montparnasse tenant un masque Baoulé.

Noire et Blanche de Man Ray, portrait de Kiki de Montparnasse tenant un masque Baoulé.


Contexte de publication.

Nous allons aujourd'hui nous pencher sur la célèbre photographie de Man Ray: Noire et Blanche. Cette œuvre contient à elle seule, beaucoup des caractéristiques de la négrophilie de l’entre-deux-guerres.

Premièrement, il convient de s’intéresser à son contexte de publication. En effet elle ne fut, à l’origine, pas réellement conçue comme une photographie d’art. Noire et blanche, fut publiée pour la première fois en 1926 dans l’édition française de Vogue. A cette époque, l'Afrique était très à la mode dans des domaines aussi variés que la peinture, la photographie, le cinéma, la mode ou la littérature

On peut imaginer que Man Ray fut largement aidé par un certain George Sakier dans la conception de cette photographie. En effet, George Sakier était le directeur artistique de Vogue à cette époque et confiait avec honnêteté qu’il fallait savoir : « Garder une longueur d’avance en chatouillant le palais des masses ».

Cette phrase décrit parfaitement l’ambition de cette photographie, en effet elle joue avec le goût du public à cette époque pour tout ce qui se rapproche de près ou de loin à l’Afrique, mais, il franchit aussi une étape non négligeable, sous entendre une égalité entre l’Afrique et l’Europe. En effet la similarité formelle entre le visage de Kiki de Montparnasse et le masque africain n’est pas fortuite. Les deux ovales, penchés l’un sur l’autre entrent en dialogue. Leur similarité formelle sous-entend irrémédiablement une similarité de statut. Le fait qu’Alice Prin soit choisie pour être le modèle de cettte photographie n’est pas non plus dû au hasard. En effet c’est pour ses qualités physiques quelle fut choisit, et en particulier pour la forme de son visage, qui s’assimilait à celle du masque.

En effet quand Man Ray rencontra Kiki de Montparnasse il fut d’abord séduit par la forme de sa tête, et fasciné par : « l’ovale parfait de son visage ». A nouveau le visage devient un objet, les yeux clos, le maquillage très blanc, et le dessin des sourcils, fait du visage (rappelant avec force la muse endormie de Brancusi) une sculpture, au même titre que le masque africain. Il est essentiel de se pencher sur le masque en lui-même. Il s’agit probablement d’un masque-portrait « ndoma », provenant de la culture Baoulé en Côte d’Ivoire. Le fait que l’esthétique de ce type de masque plaise beaucoup, mais aussi qu’il provienne des colonies françaises, (donc très facile à se procurer) a engendré une très forte présence de ces masques en France durant l’entre-deux-guerres .

Symbolique du masque.

Etude préliminaire pour Noire et Blanche. Man Ray

Etude préliminaire pour Noire et Blanche. Man Ray

Ce type de masque est utilisé pour rendre hommage à un personnage important de la société, il est utilisé en fin de cérémonie et adopte les caractéristiques physiques de la personne honorée. Il est porté par les membres de la société qui souhaitent lui rendre hommage. Fait intéressant, « ndoma » signifie : « double ». En considérant les nombreux collectionneurs que Man Ray côtoya au cours de sa vie, et le goût pour les arts occidentaux de Georges Sakier, il est fort probable qu’il connaissait la signification de ce masque. La volonté de faire de l’Afrique le double sombre de l’Europe paraît alors clairement assumée. En effet, Kiki est endormie, se révèle alors le domaine du rêve, de l’inconscient. Le masque ne serait-t-il pas seulement cette projection du fantasme ?

Peut-être, en effet, l’influence des théories freudiennes sur l’appréhension des arts était immense et cette photographie rejoue à nouveau ces codes. Dans un texte (souvent oublié) qui accompagnait cette photographie, on peut lire ceci :

« Visage de la femme, doux œuf transparent tendant à se débarrasser de la toison par où il tenait encore à une nature primitive ! C’est par les femmes que s’accomplira l’évolution qui portera à son suprême degré l’espèce au passé plein de mystère. Dolente parfois, elle revient avec un sentiment de curiosité et d’effroi à l’un des stades par où passa, peut-être, avant de parvenir jusqu’à nous, la blanche créature évoluée »

Ce texte peut paraitre malheureux, tant il semble ressasser avec lourdeur, l’idéologie du darwinisme sociale. En effet on reparle d’évolution, on oppose à nouveau nature et culture, et enfin on enfonce le clou de l’Afrique : mère de l’humanité.

Malgré cela, rappelons que, ni Man Ray, ni Georges Sakier, n’avaient, du moins à cette époque, un niveau suffisant en français pour rédiger ce type de texte très alambiqué. Il est possible d’imaginer que ce texte fut rajouté sans l’intention de l’artiste. C’est peut-être pour son aspect égalitaire, et pour le fait qu’elle joue avec intelligence avec les codes du primitivisme et l’ambiance négrophile que Noire et Blanche eut un tel succès. La manière dont Man Ray ne fait plus seulement, de la figure féminine un faire-valoir, mais bien un faire-comprendre. Le regard du spectateur devient le témoin d’une similarité de forme et de fond.

Publié dans Focus

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